La tentation est grande pour un dirigeant de faire porter l'entière responsabilité de la réussite de ses projets à ses chefs de projets. C’est bien compréhensible. La compétence et l’engagement des chefs de projet constituent en effet une condition nécessaire à la réussite des projets, mais est-ce suffisant ?
La problématique
Toutes les entreprises font des projets. Beaucoup d’entre elles ont normalisé leurs processus de gestion de projets et ont mis en place des dispositifs de formation, parfois très formalisés. Certaines frustrations dans la conduite des projets demeurent pourtant. De nombreuses bonnes pratiques de conduite de projet partent en effet du principe que la réussite d’un projet repose sur des compétences individuelles universelles du chef de projet. Elles font souvent abstraction du contexte de l’entreprise dans laquelle ces projets sont conduits. Pourtant, il n’est pas d’activité plus systémique que la conduite de projets.
Des pratiques bien connues pour conduire les projets
La présente réflexion provient de nombreuses observations lors de nos interventions en entreprises dans le domaine des projets, et notamment nos interventions de formation.
En effet, le sujet du management de projet donne lieu depuis de très nombreuses années à de multiples actions de formation.
Par ailleurs la conduite de projets a donné lieu à de multiples normes et à une standardisation internationale poussée. Je citerai le PMBok, produit par le PMI, qui est un riche recueil de processus et de bonnes pratiques de conduite de projets. Le PMI est situé aux Etats-Unis. Nous avons en Europe l’IPMA qui définit des compétences que doit avoir un chef de projet. Il y a également en Angleterre Prince 2 qui lui aussi définit des processus de gestion de projets. Nous connaissons également le CMMi qui lui définit des critères de maturité d’une entreprise en conduite de projets.
Tous ces référentiels sont intéressants. Ils apportent des informations utiles à celui qui veut développer les compétences de son entreprise en conduite de projets. J’ai bien dit les compétences de son entreprise, parce que ce que nous observons habituellement, c’est l’idée le plus souvent implicite selon laquelle la conduite des projets de l’entreprise dépendrait des seules capacités des chefs de projets, et parfois de celles des contributeurs au projet. Sur le plan intellectuel, le caractère collectif des projets est pourtant bien compris, c’est d’ailleurs l’objet du CMMi, qui lui décrit les qualités que doit avoir une entreprise pour assurer à ses clients que ses projets seront bien traités.
Il semblerait donc que tout est fait et bien réfléchi dans le domaine de la conduite des projets, et nous ne doutons pas que les recherches fort utiles sur le sujet ne s’arrêteront pas et qu’elles amélioreront de plus en plus la conduite des projets. Toutefois, nous pensons qu’il faut rester prudent. En effet, tous les manuels de bonnes pratiques qui peuvent exister doivent être mis en place en tenant compte de la spécificité de l’entreprise. Quand je dis spécificité, je pourrais parler de son identité, de sa culture, de son organisation, c'est-à-dire de tout ce qui fait qu’elle est unique et différente des autres.
Le cas d’une entreprise de télécommunications : méthodologie risque et culture du parapluie
Cette entreprise conduit en permanence un très grand nombre de projets dont beaucoup sont des projets informatiques. Elle a également structuré et formalisé la manière de traiter ses projets. Le vocabulaire est défini et partagé, des référentiels de conduite de projets décrivent les processus dans le détail, un plan de formation progressif à plusieurs étages est proposé aux personnels. La quasi-totalité des acteurs des projets suivent ce parcours.
Une filière projet est en place ; elle permet aux directeurs et chefs de projets de faire des échanges de pratiques. Cette entreprise, comme beaucoup d’autres, a été séduite par la méthodologie de la gestion des risques dans les projets qui s’est répandue il y a maintenant 10 ou 15 ans. Elle a donc décidé de mettre en place une formation sur la maîtrise des risques dans les projets. Cette formation de deux jours plait beaucoup : les gens en sortent plutôt contents. Elle est dispensée depuis une dizaine d’années. Cette entreprise a même essayé de mettre en place un processus de maîtrise des risques dans les projets, mais elle n’est pas allé jusqu’au bout.
Il a donc été décidé, de manière implicite, d’en rester à la formation. Les formations se passent toutes très bien, les gens en ressortent satisfaits, et ils passent avec succès les tests de compréhension et de capacité que nous leur proposons. Cela montre qu’ils ont compris le message que nous leur avons donné, et qu’ils sont capables de mener à bien le processus et de le maîtriser.
Toutefois, lorsqu’ils sont questionnés sur la mise en œuvre effective des pratiques qui leur sont enseignées, nous sommes surpris par le fait que ces pratiques semblent assez peu être mises en application dans leur quotidien. Pourtant, pour certains d’entre eux, leur propre chef a été formé, et même dans certains cas le chef de leur chef.
Quelles traductions faisons-nous de cette situation ? Manifestement le besoin persiste, la preuve c’est que les formations sont maintenues, et des stagiaires s’y inscrivent ou sont inscrits par leur hiérarchie.
Notre deuxième conclusion, c’est que le niveau de compétence qui leur est donnée, est jugé satisfaisant par l’organisation, c'est-à-dire les stagiaires eux-mêmes, mais également leur hiérarchie et la direction des ressources humaines.
Mais alors, pourquoi est-ce que cela ne fonctionne pas encore mieux. Pourquoi n’y a-t-il pas une plus grande mise en œuvre?
La réponse à ces questions nous est parfois donnée par certains stagiaires. Ils nous disent par exemple : « notre hiérarchie nous demande de faire remonter les risques, mais lorsque nous le faisons, elle semble assez ennuyée, et peut même parfois adopter des postures agressives à notre encontre ».
Pour d’autres, la demande est de faire remonter les risques, mais uniquement si des actions ont été menées pour traiter ces risques. D’autres enfin nous disent que les services de contrôle de gestion leur demandent une mesure du Retour sur Investissement de la mise en place du dispositif de maîtrise des risques.
Toutes ces remarques, ces attitudes, ces questions, vont à l’encontre de la méthodologie de traitement des risques dans les projets.
Le but n’est pas ici d’exposer cette méthodologie, mais si nous revenons à quelques-unes des questions posées et demandes formulées, « faites-nous remonter les risques dès lors qu’ils ont été traités, ne nous faites pas remonter les risques qui n’ont pas été traités » on peut se demander à quoi cela sert à une direction de savoir comment un risque auquel, dans beaucoup de cas, elle n’avait pas pensé elle-même, a été traité.
Cela peut bien sûr la rassurer, et c’est probablement l’intention qui est derrière cela. Toutefois, nous savons que dans les projets, il y a des risques que le chef de projet ne peut pas traiter ou assumer seul. Cela peut être là le rôle d’une hiérarchie dans une démarche de maîtrise des risques.
Manifestement, cette prise de responsabilité par rapport à certains risques du projet n’est pas acceptée. Il est même probable qu’elle n’est pas connue ni comprise.
Nous pouvons dire que les chefs de projets de cette entreprise sont dans une situation d’injonction paradoxale. Ils reçoivent une formation, qui est réputée être bonne, qui leur donne des moyens d’action qu’ils sont supposés mettre en œuvre, mais leur hiérarchie leur demande de ne pas mettre en œuvre ces moyens. Pourquoi ? Parce que la hiérarchie ne connaît pas complètement son rôle dans la mise en œuvre de cette fonction du management de projets.
Mais il n’y a pas que la hiérarchie. En effet le principe du contrôle de gestion qui exige que la rentabilité de toutes les actions définies soit mesurée au préalable et que cette rentabilité soit tenue ne s’applique pas au cas de la maîtrise des risques dans les projets. Ce type de contrôle de gestion s’applique à des activités sans risque, qui ne sont pas des activités projets, parce que le risque est inhérent à tout projet.
Cette situation montre qu’une des fonctions de la conduite de projets, ici le management des risques, est, sur un plan purement rationnel, bien utile ; mais elle ne peut pas être remplie par le seul chef de projet ou même par l’équipe de projet.
Cette fonction doit être mise en œuvre par l’entreprise dans son ensemble. Mais alors, certains pourraient dire qu’on pourrait très bien décrire un processus de gestion de risques et attribuer les différentes tâches et opérations de ce processus aux différents acteurs.
Une telle démarche est bien utile, mais encore insuffisante, car en faisant cela, on n’aborderait probablement pas deux aspects essentiels des risques : son traitement émotionnel dans la culture de l’entreprise et les stratégies d’acteurs qu’ils peuvent susciter.
Le cas d’une entreprise de BTP: planifier pour se faire battre
Cette entreprise avait lancé un grand plan de formation à la planification de ses projets. La formation était très adaptée aux projets qu’elle menait.
Les chefs de projets comprenaient là encore très bien ce qui était enseigné, et ils sortaient tout à fait capables de mettre en œuvre la méthode.
Le problème toutefois que certains évoquaient, c’est que quelle que soit la qualité de leur planification, cette planification devait tenir compte de ressources humaines impliquées dans les projets, qui, elles, n’étaient pas du tout gérées.
Un chef de projet pouvait donc faire un planning en disant qu’il aurait les ressources humaines pour réaliser les tâches planifiées, sans être sûr que ces ressources seraient disponibles aux dates prévues. Le planning était donc théorique, quelle que soit la bonne volonté des chefs de projet, quelle que soit leurs compétences en planification.
Ces chefs de projets été soumis à d’autres obstacles organisationnels en relation avec la planification. Par exemple, il y avait dans leurs projets près de 60% d’achat en moyenne. Or les tâches d’achat n’étaient pas gérées dans les projets.
Elles étaient gérées à l’intérieur de la direction des achats qui avait une politique d’achat adaptée à ses propres objectifs qui étaient de réduire les coûts d’achat de 20 %. Et ce quels que soient les effets sur les plannings.
De plus, le service de contrôle de gestion exigeait des chefs de projets que les marges réelles de leurs projets soient supérieures ou égales à ce qui était prévu.
Les chefs de projets qui n’y arrivaient pas avaient des problèmes. Par contre, ceux qui dépassaient la marge prévue n’avait aucune forme de récompenses. Ils étaient dans la normalité.
Dans ce contexte, un chef de projet qui avait deux projets, dont un avait des chances de dépasser la marge prévue, et l’autre de ne pas l’atteindre, ce chef de projet avez intérêt à mutualiser des dépenses sur les deux projets pas un système de vases communicants par lequel certaines dépenses utilisées sur un projet été payées par l’autre projet.
Ceci bien entendu n’était pas permis de part les procédures internes, mais il n’y avait aucun moyen de contrôle. Pour pouvoir faire cela, les chefs de projet n’avaient aucun intérêt à faire un planning détaillé.
Nous voyons dans ce deuxième exemple à quel point des procédures internes peuvent aller à l’encontre de la mise en œuvre de bonnes pratiques de conduite de projets.
Comment faire plus efficace?
Les exemples de ce type ne manquent pas. Ils montrent tous à quel point la mise en place d’un dispositif efficace de gestion de projets ne peut être uniquement prescrit par des bonnes pratiques externes à l’entreprise. La plupart des entreprises que nous accompagnons dans des actions de formation y sont sensibles.
En effet, nous proposons en amont d’actions de formation en conduite de projets une phase d’ingénierie dans laquelle nous faisons une analyse préalable du besoin. La plupart de nos clients acceptent cette analyse, mais quand nous relevons dans cette phase, ou en cours de formation, des dysfonctionnements collectifs, qu’ils soient d’ordre organisationnel, culturel ou stratégique, ces dysfonctionnements ont du mal à être traités.
Nos contacts nous rappellent que la commande est bien une commande de formation. Il n’est pas question de changer l’entreprise, mais il question de changer les chefs de projets et les acteurs clés des projets. C’est à eux de s’adapter et pas l’inverse, et le tout avec l’obligation de gagner en efficacité en appliquant des bonnes pratiques universelles de conduite de projets.
Mais alors que faut-il faire ? Faudrait-il changer l’entreprise si on a de temps en temps un projet à mener ? Non bien entendu, a-t-on envie de dire.
La problématique n’est pas la même pour une entreprise qui mènent des projets de temps en temps et pour celles qui ne font que mener des projets, ou celles pour lesquelles la conduite de projets est devenue une activité majeure, critique ou vitale.
Pour tout vous dire, dans ce monde qui bouge à une vitesse parfois effrayante, peu d’entreprises peuvent se permettre le luxe de ne pas mener des projets en permanence. La question touche donc la plupart des entreprises, presque toutes.
Ce qu’il faut faire donc, c’est d’abord d’avoir une vision lucide sur sa capacité collective à mener des projets. Les référentiels et standards internationaux préconisent ou mesurent la mise en place de telle ou telle bonne pratique ou processus. Ils ne mesurent pas la capacité de l’entreprise à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés.
En conduite de projets comme en management de manière générale, on observe une forme d’auto médicamentation des entreprises souvent à partir de produits qui ont fonctionné ailleurs. Mais attention aux effets indésirables de certains médicaments !
Parce qu’après tout, qu’est-ce qui compte ? Appliquer des bonnes pratiques ?, ou réussir ses projets ? Si selon vos critères, vos projets sont réussis, si vous en êtes satisfaits, si ceux qui travaillent en ressortent satisfaits, alors pourquoi changer ?
Certaines diront peut-être que, même quand tout va bien, on peut toujours faire mieux. D’accord, mais alors, définissez bien votre ambition. Définissez bien la cible. Et c’est l’écart entre le réel et l’ambition qui va définir le plan d’action à mettre en œuvre et non pas la volonté d’appliquer telle ou telle bonne pratique.
Le deuxième point, lorsqu’on a défini un véritable besoin d’amélioration, c’est de comprendre cet écart. L’usage des bonnes pratiques ne viendra qu’à partir de l’analyse de ces écarts, mais dans tous les cas, une attention devra être portée à la capacité de mise en œuvre et aux effets collatéraux de ces bonnes pratiques.
Nous pouvons vous aider à réaliser un diagnostic de votre organisation projet, notamment à partir de la grille d’analyse suivante, en vérifiant si :
- 1 La notion de projet est définie et partagée.
- 2 Les objectifs des projets contribuent aux objectifs stratégiques de l’entreprise.
- 3 Les projets produisent les livrables attendus.
- 4 Ces livrables sont utilisés.
- 5 Les livrables des projets présentent un bon niveau de qualité.
- 6 Les livrables sont livrés aux moments les plus opportuns.
- 7 Les projets utilisent le juste niveau de ressources.
- 8 Les contributeurs aux projets en ressortent avec le sentiment d’avoir vécu une expérience gratifiante.
- 9 Les autres activités de l’entreprise ne sont pas pénalisées par les projets.
- 10 La maîtrise des projets s’améliore de projet en projet.
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